Janvier 2022, les partisans de Trump s’emparent du Capitole à Washington. Janvier 2023, ceux Jaïr Bolsonaro envahissent les lieux de pouvoir à Brasilia. Cent ans après la Marche sur Rome des chemises noires de Mussolini, et quatre-vingts-dix ans après la nomination du chancelier Hitler, ces deux coups de force d’outre-Atlantique démontrent que si l’extrême droite sait toujours utiliser les moyens démocratiques et légaux de conquête du pouvoir, elle est également prête à recourir à la force pour s’y maintenir, contre la volonté populaire.
Partout en Europe, la marée brune monte. Elle envenime les blessures infligées au corps social par des décennies de libéralisme. Elle profite pour conquérir le pouvoir, de l’épuisement des gouvernements de centre droit, et trop souvent de l’absence d’une puissante alternative de gauche. Elle tire les ficelles en Suède, revient aux manettes en Italie et a établi depuis désormais treize ans son pouvoir sur la Hongrie.
En France, elle attend patiemment son heure. Le risque tragique d’un scénario identique, repoussé à deux reprises par le peuple français, pourrait en effet finir par s’imposer en 2027, avec l’appoint d’une droite à la dérive. Travailleurs pauvres, radiés de l’allocation chômage, hommes et femmes qu’on prive chaque jour un peu plus des moyens d’une vie digne, ils sont toujours plus nombreux à ruminer en silence la colère que suscite l’insouciante brutalité d’Emmanuel Macron. Pendant qu’à gauche, chacun défend les intérêts de sa boutique, les derniers obstacles à cette irrésistible ascension de l’extrême droite sont en passe d’être levés.
« Quand les blés sont sous la grêle, Fou qui fait le délicat ». Ces vers d’Aragon, bien que taillés pour une autre époque, sont un avertissement toujours aussi inspiré. Certes, le rassemblement des forces de la gauche ne saurait suffire seul à empêcher la catastrophe. Mais alors que la gauche n’a jamais été aussi faible dans son histoire, sa division la rendrait certaine.
Militant du parti communiste depuis trois décennies, je n’oublie pas que le rôle historique de mon parti est toujours de penser l’intérêt des mouvements émancipateurs et ouvriers dans leur ensemble. Notre responsabilité est plus que jamais de construire une issue commune, nourrie de notre singularité.
La martingale de la personnalisation
En 2018, la promesse d’un come back du PCF sur la seule base de la présence d’un candidat communiste à l’élection présidentielle a été sévèrement douchée par les résultats de 2022, avec le pire score de son histoire pour notre parti1. Il y aurait beaucoup à dire sur la décision d’avoir maintenu jusqu’au bout cette candidature, en particulier sur le fait qu’elle ait permis la qualification de l’extrême droite au second tour de la présidentielle, avec en cascade d’importantes conséquences, notamment la présence de 89 députés néofascistes à l’Assemblée nationale.
Mais en outre, ce choix traduit incidemment une conception de la politique qui nous est tout à fait étrangère. Le parti communiste français a-t-il vocation à se fondre dans le moule d’institutions comme l’élection présidentielle que nous avons toujours combattue pour son caractère bonapartiste, plébiscitaire et l’illusion délégataire qu’elle entretient ? Si à ce stade, le texte proposé par le Conseil national (« L’ambition communisme pour de nouveaux jours heureux ») reste bien flou sur ses intentions stratégiques à venir, l’action quotidienne de notre parti est aujourd’hui encore, profondément marquée par les stigmates du présidentialisme : de plateau de télévision en tweets percutants, de « Tour de France » en livre confessions, c’est toujours sur l’équation personnelle de Fabien Roussel que reposent presque exclusivement notre proposition politique et nos espoirs. Tout se passe comme si ce qui a toujours constitué la force du parti communiste, celle d’un collectif humain pensant et agissant, ancré au cœur des mouvements de lutte contre toutes les dominations, se trouvait désormais dilué et subordonné à l’exigence de cette percée médiatique.
Un tel fonctionnement nourrit un profond appauvrissement de l’engagement communiste. Il encourage les logiques de supporters que nous condamnons à juste titre lorsqu’elles se manifestent chez nos partenaires politiques, et néglige mécaniquement la valorisation de nos réseaux militants, d’acteurs locaux, d’élus, de militants syndicaux et d’intellectuels, qui contribuent par leur implantation locale, dans les luttes et dans le débat d’idées, au déploiement de l’influence communiste.
Faire le choix du communisme
Car c’est bien le principal sujet qui se trouve sur la table, celui d’un renforcement de l’influence communiste. Or ce n’est pas en s’appuyant sur les idées dans l’air du temps, comme l’opposition entre l’allocation et le travail, ou en inventant une mauvaise gauche « flémministe » que nous y contribuerons. Pire, nous donnons ainsi du crédit au récit de l’adversaire qui a toujours présenté les classes populaires comme un ramassis de fainéants que seul le fouet du marché du travail peut mettre au boulot. Ce n’est pas non plus en réduisant notre niveau d’ambition transformatrice, pour nous mettre en quelque sorte, au niveau de ce que nous croyons être l’état des consciences aliénées par des décennies de pédagogie du renoncement. En nous limitant à ce qui semble entendable et atteignable, chacun voit bien que nous avons renoncé à modifier la logique d’ensemble. Ainsi, est-ce seulement en proposant de taxer le capital, ce qui est désormais l’horizon permanent de nos propositions, que nous accréditerons l’idée qu’il est possible au fond de s’en passer ?
L’an dernier, dans un meeting de Bretagne, Fabien Roussel avait balayé la suggestion qu’un jeune acteur d’une coopérative rennaise venait de lui soumettre, celle d’une sécurité sociale de l’alimentation2. Il s’agit pourtant d’une proposition nourrie du travail de camarades comme Bernard Friot, et portée par des syndicats, des associations d’agriculteurs et des acteurs de l’économie sociale et solidaire. Après avoir rappelé à juste titre que « Créer une sécurité sociale alimentaire, cela voudrait dire créer une nouvelle branche de la sécurité sociale, avec des cotisations », le candidat Fabien Roussel recula devant l’ampleur d’un projet qui consiste en réalité à faire grandir du « communisme déjà-là », pour reprendre l’expression de Lucien Sève. Il situa sa réponse dans ce qu’il estima être une proposition à portée de bulletin de vote : il pointa à juste titre le manque de pouvoir d’achat pour accéder au bio, le besoin d’une alimentation saine dans les cantines, et l’exigence de produire en France. Mais il renonça à appuyer une proposition porteuse à la fois de progrès immédiats, et de subversion profonde de l’ordre existant.
Pour faire progresser le parti communiste, il faut faire progresser les idées communistes dans le débat. Par exemple en expliquant en quoi arracher une sécurité sociale de l’alimentation est un objectif communiste utile et atteignable. Que cela permettrait en le finançant par la cotisation, de faire sortir de la marginalité économique des agriculteurs locaux, conventionnés sur la base de critères objectifs (produits bio, circuit courts, prix…). Que cela priverait également l’agrobusiness et les géants de la grande distribution d’un marché juteux. Quel cela répondrait concrètement à une aspiration grandissante jusque dans les classes populaires, celle de manger sainement. C’est en répondant ainsi à ces aspirations nouvelles, en nous rattachant directement à notre histoire communiste, que nous montrerons que nous sommes encore utiles et que nous ferons toucher du doigt à nos contemporains, « quelle gueule cela a » le communisme dont nous parlons.
Faute de repères idéologiques, faute de boussole stratégique, on ne peut que redouter que nous continuions à nous inscrire dans une improvisation électoraliste permanente, mais sans aucun résultats électoraux probants. Le choix actuel de la poursuite de la personnalisation annonce de prochains cavaliers seuls du PCF aux échéances électorales. Les conséquences seraient désastreuses pour notre parti. En effet, il est désormais assez clairement démontré que les causes de notre affaiblissement continu depuis quarante années, que nous présentions un candidat à la présidentielle ou pas, sont à rechercher ailleurs, et en particulier dans la façon dont les classes populaires perçoivent notre utilité politique pour contribuer à des rassemblements victorieux.
C’est pourquoi, si le maintien contre vents et marées d’une stratégie d’isolement contribuerait à nous ôter tout crédit auprès de celles et ceux qui aspirent au changement, a contrario c’est comme architecte inlassable de l’unité et porteurs de propositions communistes, vivantes et connectées au monde et aux mouvements de transformation sociale que nous pourrons retrouver notre utilité et renforcer notre influence. C’est le choix que nous devons faire, et selon moi, c’est celui qui est proposé dans le texte d’orientation pour le 39e congrès du PCF, Urgence du communisme.
1En effet, à la différence de 2007 où Marie-George Buffet avait réalisé 1,93 %, en 2022 notre candidat qui a réalisé 2,28 % n’était pas seulement soutenu par le PCF, mais également par la Gauche Républicaine et Socialiste (GRS), le Mouvement Républicain et Citoyen (MRC), la Nouvelle Gauche Socialiste (NGS) et des radicaux de gauche.
2La vidéo est consultable sur Facebook, l’échange ayant lieu 1:19:00 après le début : https://www.facebook.com/Particommuniste/videos/434314764721339
Bravo Franck ! Tu parles clair, franc, utile et avec respet. Mais ta contribution vient bien tardivement dans la première étape de préparation de notre congrès, raccourcie à l’extrême. Elle gardera bien sûr toute sa valeur jusqu’à Marseille.